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Code de déontologie : un rempart contre la corruption ?


Article paru dans la Revue du financier  n° d'avril 2019 pages 22 à 34



Le rôle des codes de déontologie et de la prévention des conflits d'intérêt dans la lutte contre la corruption


Pour lutter contre la corruption, certains observateurs estiment que seulement deux types d’instruments sont légitimes :
-          le cadre répressif de l’État (lois fixant des interdictions, enquêtes et répression pénale) ;
-          les procédures de détection internes aux organisations (audit interne, contrôle interne, sécurité des systèmes d’information).
En bref, seuls les dispositifs contraignants, obligatoires (le hard ) seraient efficaces. Les dispositifs préventifs, volontaires, d’autorégulation, comme les codes de déontologie et la gestion prudentielle des conflits d’intérêts seraient au contraire peu pertinents. Présentés comme une démonstration de bons sentiments sans portée réelle, deux types de critiques sont émises à leur encontre.
La première critique porte sur l’incompatibilité par nature de l’ordre éthique et de l’ordre économique. Certains économistes, tels Milton Friedman[1] ou John Keneth Galbraith, soulignent que l’unique finalité de l’entreprise est le profit tandis que la régulation et sa sanction relèvent de la mission de l’État. D’autres vont plus loin dans la critique en estimant que ces dispositifs « instrumentalisent l’éthique pour court-circuiter le contrôle étatique et les normes morales mises en place par la société civile »[2].
L’analyse qui suit souhaite montrer l’utilité, en complément des autres dispositifs, de ces instruments de droit souple qu’ils soient présents dans le secteur privé, d’où peuvent venir les corrupteurs potentiels, ou qu’ils soient mis en place dans le secteur public où peuvent aussi se trouver des corrompus.


1           Codes de déontologie et instruments de prévention des conflits d’intérêt : une réponse à la demande sociale d’intégrité

Les valeurs fondamentales de l'action publique sont les principes d'impartialité-objectivité et d'intégrité-probité. Ces deux remparts sont des cibles, à détruire si on se place du point de la vue de la corruption et à renforcer du point de vue des procédures éthiques.

1.1         La corruption : une atteinte à l’intégrité et à l’indépendance des décideurs publics

La corruption, définie largement comme le fait de procurer à autrui un avantage injustifié contre contrepartie, peut concerner aussi bien les entreprises que les autorités publiques. Ainsi, on pourrait au sens large considérer qu’entre dans le champ de la corruption un directeur des achats d’une entreprise qui choisit un entrepreneur de travaux pour construire le hangar dont son entreprise a besoin, non pas parce que cet entrepreneur propose le meilleur rapport qualité/prix mais parce qu’il installe chez lui gratuitement une piscine. Si on restreint le champ de la corruption, dans le sens de l’article 433-1 du code pénal, aux « personnes dépositaires de l'autorité publique », elle demeure un délit aux multiples visages comme le résume le tableau ci-dessous.

Tableau n°1 : Les éléments constitutifs des différents types de corruption
Délits
Élément caractérisant
Personnes en cause
Corruption
/


Un corrupteur + un corrompu
Trafic d’influence
Intermédiaire
Concussion
Une taxe
Favoritisme
Un marché public
Prise illégale d’intérêts
Une contradiction entre des intérêts privés et publics

Un corrompu
Détournement de fonds publics
Un vol de fonds publics
Source : Hervé Boullanger
Comme on le voit, ce délit met toujours en relation un avantage public (marché public, subvention, dégrèvement fiscal) attribué, avec passe-droit (appel d’offre faussé, non-respect des critères d’attribution ou de dégrèvements), à un intérêt privé (entreprise, particulier) en échange d’un avantage, en nature ou financier pour l’agent public décisionnaire. Les deux niveaux de corruption : - grande corruption à l’échelle politique et petite corruption à l’échelle administrative (par exemple pour obtenir des autorités un permis, un marché, une subvention…) – sont de ce point de vue de même nature.

1.2         Les codes de déontologie : une affirmation de l’attachement à l’intégrité

Même si le mot déontologie est tardif (attribué à au philosophe utilitariste Jeremy Bentham[3]), l’ancienneté des codes de déontologie professionnelle est attestée dès le moyen-âge. Ces premiers codes transcrivaient déjà, pour telle ou telle corporation (orfèvres, changeurs, peaussiers…), les vertus communes et obligations applicables au monde du travail et transmises depuis l’antiquité, tels que la loyauté des marchandises, l’équité des échanges, l’intégrité personnelle, la non-appropriation des biens sociaux. La montée en puissance actuelle (principalement à partir des années 90) de cet outil de régulation tient à des phénomènes plus récents :
1/ des phénomènes dus à l’évolution des perceptions éthiques dans la société
-          la complexité des interactions économiques qui multiplient les échanges, et donc les risques de conflits d’intérêt entre acteurs économiques, politiques et sociaux ;
-         l'affaissement, en Occident, des fondements spirituels de l’éthique qui nécessite l’affichage de valeurs qui « prennent la place laissée vacante des fondements pour fournir une référence transcendante intrinsèque qui rendrait l’éthique comme autosuffisante »[4];
-         le délitement des carrières longues chez le même employeur, manifeste dans les entreprises mais également dans certaines administrations nationales où les régimes à statut sont remis en cause. Cette évolution distend le lien spontané de loyauté entre employeur et salariés qu’il faut dès lors renforcer par des règles éthiques ;
l’essor des thérapies cognito-comportementales qui considèrent que l’on peut agir sur le comportement des individus par des techniques de rééducation des croyances en direction d’une meilleure adaptation sociale[5].
2/ des phénomènes dus à l’évolution des attentes de la société envers les acteurs de l’économie ;
-          les scandales à retentissement mondial dans lesquels sont apparus des informations falsifiées, des délits d’initiés, un manque de transparence ou des faillites en chaîne (Enron 2001, Worldcom 2002, Société générale, Madoff, subprimes et UBS 2008, Swiss Leaks 2015) ;
-         l’exigence de développement durable qui condamne la prédation des ressources et prône leur gestion responsable ;
-         la multiplication des autorités nationales (OCLCIFF Tracfin, AFA, ACPR,[6]…)  et internationales (FMI, ONU, GAFI, OCDE, OIT[7]…) et des ONG (ex : Anticor,et Transparency international, Sherpa) qui promeuvent l’autorégulation des professions, notamment contre la corruption.

Relevant tous du droit dit « souple » (soft law) par opposition aux lois et règlements dotés d'une force juridique contraignante, les textes énonçant les valeurs d’une entité publique ou privée peuvent être de nature très différente :
-           valeurs assimilables à des principes d’action qu’une entité s’engage à respecter (fiabilité, respect du consommateur et des clients, innovation, solidarité, diversité des recrutements, esprit d’entreprise, sens du service public…) ;
-          valeurs de la responsabilité sociale des entreprises (respect de l’environnement et gestion des ressources humaines bienveillante) [8] ;
-          valeurs de gouvernance (encadrement et transparence de la rémunération des dirigeants, bonnes pratiques du comité d’audit, administrateurs indépendants…).
Les codes ou chartes de déontologie, qui énoncent les comportements recommandés et les interdits. Ils peuvent inclure tout ou partie de ces valeurs mais leur principale caractéristique est la place centrale donnée à l’intégrité, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous.

Tableau n°2 : Les principales valeurs des codes de déontologie et leurs fondements philosophiques
Valeurs philosophiques
Valeurs pratiques
Vérité
§  Transparence (décisions, comptes, intérêts…) mais inversement respect du secret (réserve et discrétion professionnels)
§  Cohérence, congruence entre valeurs et comportements
Honneur
§  Intégrité, droiture, probité, exemplarité
§  Indépendance, impartialité
Humanisme
§  Respect des personnes (lutte contre les discriminations et harcèlement)
§  Travail d’équipe, convivialité
§  Attention, tact, écoute, compassion, bienveillance, courtoisie
Responsabilité
§  Sens du client, exigence de qualité, performance, création de valeur
§  Compétences : formation, professionnalisme
Source : Hervé Boullanger

L’intégrité peut se définir comme « une condition de l’utilisation des fonds, des ressources, des actifs et des pouvoirs conformément à leur intention officielle et à l’intérêt général »[9]. Lorsqu’on mesure la hiérarchie des valeurs affichées dans les organisations, l’intégrité apparaît toujours dans les cinq valeurs les plus fréquentes[10].
À côté des autres atteintes à l’intégrité qui peuvent survenir dans le cadre professionnel (délinquance fiscale, fraudes, escroqueries, blanchiment, harcèlement, abus de biens sociaux…), la corruption constitue l’un des principaux risques que les codes de déontologie entendent conjurer.

1.3         La prévention des conflits d’intérêt : l’attachement à l’indépendance

Comme indiqué ci-dessus, l’indépendance (c’est-à-dire la neutralité et l’impartialité) est une valeur centrale des codes de déontologie. La prévention des conflits d’intérêt entend garantir que cette indépendance est présente lorsqu’une autorité prend « un acte de sa fonction » ou exerce « sa mission » ou « son mandat » [11]. Elle prend en compte les intérêts qui s’opposent, lorsque l’un d’eux pourrait affecter la motivation à agir sur les autres (c’est-à-dire compromettre son objectivité, son impartialité), ou au moins donner cette impression (on parle alors « d’apparence de conflit d’intérêts »). Elle est nécessaire dans toute activité humaine et très répandue dans certains secteurs professionnels : professions médicales, professions réglementées, conseil, coaching, etc.
Dans le secteur public, elle est par définition l’antidote à la corruption qui est la forme la plus aboutie du conflit d’intérêt, c’est à dire la forme dans laquelle le décisionnaire en tire un profit c’est-à-dire « directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques »[12]. Sous la qualification de trafic d'influence ou de prise illégale d'intérêts, le conflit d’intérêts entre alors dans le cadre du délit de corruption.
Depuis quelques années, la France a renforcé son arsenal réglementaire désormais très complet[13] pour prévenir les conflits d’intérêts pouvant concerner les élus et agents publics :
 - mécanisme de suivi et de vérification des déclarations de patrimoine ;
- sanctions sévères en cas de non-respect de cette réglementation ;
- contrôle de ce respect par des autorités administratives indépendantes :  la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) créée en 2013 et chargée de contrôler les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d’intérêts de 15 000 responsables publics et la commission de déontologie de la fonction publique créée en 1993 chargée plus particulièrement du « pantouflage »[14].
Les dépositaires de l’autorité publique sont désormais tenus de faire cesser immédiatement les situations de conflit d'intérêts dans lesquelles ils se trouvent ou pourraient se trouver.

2           Les atouts de ces dispositifs pour lutter contre la corruption

La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi Sapin II) renforce les actions à mettre en œuvre pour prévenir la corruption : registre de lobbyistes, protection des lanceurs d’alerte, délit d’entrave… Les missions qu’elle confie à l’agence anti-corruption sont également une reconnaissance de la place à accorder aux instruments de droit souple tels que déontologue, charte et comité déontologiques et déclarations d’intérêt obligatoires.

2.1         Les apports des codes de déontologie et des dispositifs de prévention des conflits d’intérêt par rapport aux interdits et sanctions posés par le droit positif.

Les codes de déontologie et la prévention des conflits d’intérêt, se caractérisent, par rapport aux instruments répressifs, policiers et judiciaires, par une forte dimension déclarative : les codes sont des déclarations d’intention et la prévention des conflits d’intérêt repose sur les déclarations spontanées des dirigeants publics qui doivent se déporter volontairement lorsqu’ils sont amenés à prendre une décision qui a un impact sur leurs intérêts personnels.
Comme rappelé dans le tableau ci-dessous, cette dimension déclarative ne leur permet pas de corriger toutes les sources de la corruption. Ils peuvent toutefois, en créant une culture de l’éthique et un environnement de conformité, corriger d’autres facteurs qui favorisent la corruption. 

Tableau n°3 : Impacts du cadre éthique sur les sources de la corruption
Impacts forts
Impacts faibles
§  Pratiques usuelles dans certains pays,
§  Pouvoir discrétionnaire illimité et absence de contre-pouvoirs,
§  Manque de transparence,
§  Procédures et instructions dépassées et peu claires.
§  Absence de mise en œuvre des politiques,
§  Force insuffisante des lois,
§  Instructions d’application inadéquates, Revenus insuffisants des agents publics de contrôle,
§  Dissimulation délibérée et astucieuse de complices déterminés et sans scrupule.
Source : Hervé Boullanger

Autres avantages de ces dispositifs : ils constituent une éthique en action, un éthique pratique. À l’inverse de l’éthique générale ou des lois, ils traitent de situations concrètes, ils donnent des indications sur la pratique professionnelle quotidienne. Le code de conduite général est souvent assorti de plusieurs codes par métiers : code des achats, codes des commerciaux pour le vente et le marketing, code informatique pour les usages du numérique, charte du management, code des dirigeants, etc. Les différents codes sont marqués par les singularités de chaque secteur professionnel (ex : les codes des banques par le souci de vérifier les identités, les codes de l’industrie alimentaire par la sécurité des produits, le respect des usagers dans l’administration…). Ils sont adaptés à la diversité des missions et des métiers propres à chaque service et traduisent, dans chaque cas, la dimension spécifique des exigences de probité, d'intégrité, d'impartialité et de prévention des conflits d'intérêts qui sont communes à tous.
Le cadre éthique peut être accompagné de guides ou d'indications pratiques exposant, à partir de cas concrets, les dilemmes dans lesquels les intéressés peuvent se trouver et apportant des éléments de réponse sur la conduite à tenir, les compromis possibles, les lignes rouges à ne pas franchir ou les erreurs à éviter. Lorsqu'un cas nouveau se présente, le déontologue de la structure est appelé à émettre une recommandation.
« Appliquer une norme à un cas particulier est un opération extraordinairement complexe … et il n’est pas toujours clair que tel cas doit être placé sous telle norme [15]». C’est pourquoi, les codes s’efforcent de résoudre des cas précis de situation à risque en matière de confidentialité, d’impartialité, d’intégrité, de qualité ou de respect de la personne.
Les codes et préventions des conflits d’intérêt sont accompagnés, lorsqu’ils fonctionnent efficacement, de procédures de dialogue périodique (réunions animées par le déontologue) qui permettent d’analyser, au fil de l’eau, les cas concrets les plus délicats. L’éthique professionnelle est une éthique de situation très pratique qui nécessite un échange fréquent entre dirigeants, déontologues et salariés pour examiner les dilemmes rencontrés.  

2.2         Les apports des codes de déontologie et des dispositifs de prévention des conflits d’intérêt par rapport aux autres procédures internes de conformité.

La conformité (compliance en anglais) regroupe l’ensemble des mécanismes (stratégie et procédures) mis en œuvre par les organisations dans le but d’assurer le respect des règles de droit applicables et de l’éthique. Aujourd’hui, ces mécanismes, comme indiqué dans le tableau ci-dessous, poursuivent trois types d’objectifs. S’appuyant sur le facteur humain ou sur des outils techniques ou informatiques, ils participent à améliorer l’étanchéité de l’organisation aux risques de non-intégrité, parmi lesquels la corruption.

Tableau n°4 : Les principaux modes internes de riposte contre les risques de corruption
Objectifs
Techniques internes de riposte et de détection
1/ Développer la vigilance humaine

§  Formation du personnel
§  « KYC » : Connaissance documentée des partenaires économiques (identité…)
§  Éthique : un déontologue, une charte, un comité, déclaration d’intérêts obligatoire
§  Un responsable : un correspondant interne chargé des relations avec les autorités répressives publiques : Tracfin, AFA…
§  Audit externe : publication des comptes certifiée par un commissaire aux comptes, audit anti-fraude
§  Alerte : dispositifs d’alerte interne et protection des lanceurs d’alerte
2/ Renforcer les dispositifs de contrôle interne
§  Description des processus mis en œuvre dans l’organisation
§  Élaboration d’une carte des risques
§  Élaboration d’un plan d’action et de contrôle de maîtrise des risques
3/ Garantir la vigilance informatique
§  Audit de sécurité S.I.
§  Tests d’intrusion
§  Mise à jour des logiciels
Source : Hervé Boullanger
L’étude 2017 Euler Hermes confirme, comme chaque année,  que le mécanisme le plus efficace pour prévenir les situations d’atteinte à la probité est le renforcement de la vigilance humaine (53% des cas de détection) [16]. La préparation, la diffusion et parfois la signature des codes de déontologie et des déclarations d’intérêts et de patrimoine constituent le meilleur moyen de mettre sous tension les personnels afin qu’ils soient sensibilisés à la corruption.


3           Deux exemples d’un cadre éthique pour lutter contre la corruption

Pour comprendre comment un cadre éthique fixant une liste de valeur et organisant la prévention des conflits d’intérêt est susceptible de constituer un rempart à la corruption, il est nécessaire d’examiner où il fonctionne dans des secteurs économiques mettant en relation public et privé. Tel est le cas pour le secteur de la comptabilité qui a pour mission de publier des données chiffrées fiables nécessaires aux parties prenantes (administration fiscale, actionnaires, banques…) et le secteur de l’achat public dans lequel des entreprises sont fournisseurs de l’administration.

3.1         La déontologie des professionnels du chiffre


En matière de lutte contre la corruption, les professionnels du chiffre, c’est-à-dire les auditeurs (commissaires aux comptes) et les comptables ont un rôle fondamental à jouer dans la mesure où aucune malversation ou détournement n’est possible sans que les délinquants aient besoin, à un moment ou un autre, de dissimuler dans les comptes, les flux financiers illégaux qu’ils ont générés.
            Corrupteurs et corrompus ont besoin que les fonds sortis de la caisse d’un comptable public et entrés sans base légale dans un patrimoine privé trouvent un prétexte en comptabilité. Les serments solennels prêtés par les professionnels du chiffre au moment de leur prise de fonction puis les codes de déontologie qu’ils doivent appliquer ensuite, sous peine de sanctions disciplinaires constituent des garanties contre leur participation à la corruption. Qu’ils soient actifs dans la corruption c’est-à-dire bénéficiaires ou complices, ou qu’ils soient trompés par négligence (manque de diligence dans leurs contrôles), les sanctions encourues par ces professionnels devant leurs instances disciplinaires et qui s’ajoutent aux éventuelles condamnations pénales, sont très lourdes en raison du caractère aggravant que constitue le parjure au serment.
Comme le montre le tableau ci-dessous, on peut être frappé par les similitudes, dans ces serments et codes,[17] entre les règles imposées aux professionnels du chiffre exerçant dans le secteur privé (experts-comptables et commissaires aux comptes) et dans le secteur public (membres des juridictions financières : Cour des comptes et chambres régionales des comptes et comptables publics).

Tableau n° 5: Les valeurs communes figurant dans les normes déontologiques des professionnels du chiffre du secteur public et du secteur privé
Valeurs
Commentaires
Contenu du Serment prêté solennellement[18]  
- Probité (EC, CAC, CP) 
- Respect des lois (EC, CAC, CP)
- Fidélité (CP)
- Indépendance (CAC)
- Honneur (CAC)
- Secret (JF)
- Bien remplir ses fonctions (JF)
- Dignité (JF)
- Loyauté (JF)
Indépendance, impartialité
Sont interdites les situations qui créent un conflit d’intérêt
Probité, intégrité
L’intégrité et l’honnêteté sont des conditions d’exercice de la profession. Leur manquement sanctionné par le pouvoir judiciaire entraine une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’exercer.
Secret, réserve
et discrétion professionnels
Un professionnel du chiffre ne communique les informations qu'il détient qu'aux personnes légalement qualifiées pour en connaître.
Compétence
Obligation de la formation continue.
Dénonciation des
crimes et délits
Les malversations ou infractions pénales découvertes  au cours de la mission doivent être dénoncées au procureur de la République.
Source : Hervé Boullanger

Comme on peut le constater à la lecture des valeurs mises en exergue, ces règles déontologiques communes sont celles qui offrent la meilleure protection contre la corruption. Ce lien est évident pour les obligations d’intégrité, de probité, d’honneur et d’indépendance et de dénonciation des crimes et délits mais c’est également le cas pour les deux impératifs de secret (qui protège contre la divulgation d’informations qui se réaliseraient contre rémunérations) et de compétence (qui protège les professionnels du chiffre contre les tentatives des délinquants de les abuser, au moyen par exemple de faux documents).
Comme l’indique le tableau ci-dessous, certaines valeurs ne sont pas communes aux professionnels privés et publics et ce sont justement celles qui n’ont pas d’impact sur la lutte contre la corruption.

Tableau n°6 : Les valeurs des normes déontologiques des professionnels du chiffre qui divergent entre secteur public et secteur privé
Thèmes
Commentaires
Neutralité
Les professionnels du chiffre dans le public doivent s’abstenir de mettre en avant leurs convictions politiques, philosophiques ou confessionnelles
Dignité
Les professionnels du chiffre dans le public doivent s’abstenir, même en dehors du service,  de tout agissement qui porterait préjudice à la confiance dans l’institution
Assistance, courtoisie et confraternité
Les professionnels du chiffre dans le privé doivent se garder de tout acte ou propos déloyal à l’égard d’une confrère ou susceptible de ternir l’image de la profession. Ils s’efforcent de résoudre à l’amiable leurs différents
La communication
Pour les professionnels du chiffre du privé, les actions de communication à l’égard de tiers sont encadrées
Source : Hervé Boullanger


3.2         Le cas des marchés publics

Le tableau ci-dessous récapitule les étapes du processus de commande publique dans lesquelles la corruption peut s’exercer et continue de s’exercer massivement à travers le monde[19]. En Europe, le « code » des marchés publics[20]  encadre surtout la phase de sélection des candidats mais la corruption s’exerce aussi, et de plus en plus, dans la phase, moins visible, d’exécution des marchés (ex : validation contre rétribution masquée d’une livraison de travaux défectueux).

Tableau n°7 : Les risques déontologiques dans le processus marchés publics
Étapes du processus
Risques
Niveau de risques
Spécifications techniques du besoin
Inutilité du marché, imprécision ou critères excessifs du besoin, absence de transparence pour les candidats, absence d’efforts dans le sourcing, divulgation d’informations confidentielles, possibilités cachées d’élargissement ultérieur du contrat
1
Sélection des candidats
Pondération et hiérarchisation des critères, système de notation des offres, choix injustifiable techniquement et juridiquement, phase de négociation non transparente, montage contractuel inadapté aux besoins
2
Exécution du marché
Mauvaise réception physique des prestations, gonflement artificiel du volume des travaux, mauvaise qualité, Absence de sanctions ou sanctions impropres du titulaire : pénalités de retard et résiliation du marché, bons de commande non conformes, dérapage financier par rapport au budget initial…
1
Archivage des données
Pertes et manquants, mauvaise traçabilité des échanges avec le prestataire,
3
Source : Hervé Boullanger

Au-delà des obligations de transparence et de libre accès aux marchés publics imposées par la loi, certaines bonnes pratiques présentes dans les collectivités publiques sécurisent l’éthique d’achat et évitent la corruption. Elles ne sont pas obligatoires mais seulement recommandées par l’Union européenne[21] Elles sont reproductibles dans le secteur privé où elles sont d’ailleurs souvent présentes.
En premier lieu, dans le domaine de la prévention, les services achat se dotent d’une charte de déontologie qui énonce des principes généraux : exercice digne, intègre et impartial de ses fonctions par l’acheteur, confidentialité, égalité de traitement des candidats, respect des principes de liberté d’accès à l’achat par les fournisseurs ou encore achat au meilleur rapport-qualité prix. Elle encadre également les relations des acheteurs avec les fournisseurs (réunions dites de sourcing, visite de salons professionnels). Tous les acheteurs sont invités à signer cette charte lors de leur arrivée. Par ailleurs, les directeurs des achats doivent établir une déclaration d’intérêt et non l’ensemble des acheteurs.  Lors du départ, temporaire ou définitif, d’un acheteur, le déontologue de l’entreprise est amené à examiner sa situation personnelle afin de signaler un éventuel conflit d’intérêt. On constate souvent que les chartes de déontologie sont insuffisamment connues ou même signées.  La bonne pratique recommandée consiste alors à formaliser et à communiquer fréquemment sur la procédure de déport ou de recours aux déontologues.
En deuxième lieu, en complément aux codes de déontologie et dispositif de prévention des conflits d’intérêt, les services achats appliquent des principes ou valeurs rappelés ci-dessous qui ne sont pas imposés par le code des marchés publics mais qui constituent des bonnes pratiques incontestables. 
La collégialité : elle est présente lors du choix du fournisseur parmi les candidats, mais aussi lors de l’élaboration de l’expression des besoins. L’équipe en charge du projet d’achat se réunit (rédacteur du marché et prescripteur a minima) pour partager collégialement l’analyse économique et technique globale (et discuter d’éventuels ajustements) des offres des fournisseurs, puis consolider l’ensemble des notes. L’acheteur porteur du marché fait analyser dans un premier temps la valeur « technique » et la valeur « prix » par des groupes distincts. Ainsi, l’entité cloisonne l’analyse technique (effectuée par le service prescripteur) et celle financière réalisée par l’acheteur aux fins de prévenir le risque d’une notation technique ajustée en fonction des prix proposés par les candidats (un candidat dont l’offre est plus chère mais techniquement meilleure pourrait voir sa note technique rehaussée pour être retenu). L’ensemble de l’analyse est évidemment contrôlé par le responsable hiérarchique et la direction juridique. Les rapports d’analyse des offres, de plus en plus fréquents, assurent désormais la traçabilité de ce processus décisionnel. Encore trop souvent présentés sous la forme d’une simple grille d’analyse des offres ou d’un rapport de présentation sans mention de l’identité des membres des équipes projet, ces rapports gagnent progressivement en précision (notamment depuis la suppression des commissions d’appel d’offres dans les services de l’État[22]) en raison de la rémanence du traitement pénal des marchés publics.
La direction centralisée : les bonnes pratiques incitent les sièges sociaux à encadrer et à faire respecter dans les filiales leurs lignes directrices et leur stratégie pour les achats. Pour aller dans ce sens, un mouvement s’opère, de plus en plus souvent, en faveur d’une autorité fonctionnelle de la direction centrale des achats sur les acheteurs des unités opérationnelles.
Le contrôle a posteriori : lorsque la prévention de la corruption sur les achats n’est assurée que par un contrôle préventif des conflits d’intérêt, un contrôle périodique ex post réalisé par une inspection générale ou un service d’audit interne sur un échantillon de marchés peut être mis en place ;
L’alerte : lorsqu’on souhaite favoriser la responsabilité de chacun, on peut adopter une disposition réglementaire transposant spécifiquement pour les marchés publics les dispositions de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 sur la protection des lanceurs d’alerte[23].

*
*   *

Si comme l’affirme Jean-Jacques Rousseau, « la liberté est l'obéissance à la loi que l'on s'est prescrite », la mise en place de codes de déontologie et instruments de prévention des conflits d’intérêt constitue un bon compromis pour maîtriser les risques de corruption tout en assurant une autonomie et une confiance a priori aux acteurs.
La signature d’un code de déontologie et le dépôt de déclarations d’intérêt et de patrimoine solennisent la responsabilité éthique du représentant de l’autorité publique et constituent un facteur aggravant en cas de production d’une fausse déclaration. Ces procédures font « monter les enchères » pour ceux qui seraient traversés par la fugitive tentation de se rendre coupable de corruption. Inopérantes pour décourager les corruptions préméditées et résolues, elles sont réellement efficaces pour limiter les actes de corruption commis par faiblesse, comme par inadvertance ou habitude culturelle et qui restent encore, à l’échelle planétaire, une catégorie de corruption beaucoup trop répandue.





[1] FRIEDMAN, Milton, Capitalisme et liberté, 1962, Paris, Robert Laffont, 1971, p.133.
[2] MARZANO, Michela, L’éthique appliquée, 2010, PUF, p.121
[3] SAUVE, Jean-Marc, Conflits d'intérêts et déontologie dans le secteur public, AJDA 2012 p.861
[4] MORIN, Edgar, La méthode. 6. Éthique, Points Seuil  2014
[5] Thanh-Lan Ngo, La thérapie cognitivo-comportementale - Théorie et pratique, Gaëtan Morin éditeur 2010
[6] OCLCIFF office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, AFA (agence française anticorruption, ACPR (autorité de contrôle prudentiel et de résolution) :  supervision des secteurs bancaires et d'assurance
[7] FMI (Fonds monétaire international), GAFI (Groupe intergouvernemental d’action financière), OIT (Organisation internationale du travail).
[8] Commission européenne 3ème communication sur la RSE, 2011 : « L ’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ».
[9] OCDE, L’intégrité dans les marchés publics, 2008
[10] Indicateurs des valeurs de l’agence Wellcom, 2013, 13 pays étudiés, plus de 4 000 entreprises, 22 993 valeurs au total -  http://www.valeurscorporate.fr/index-des-valeurs/les-11-premieres-valeurs-internationales
[11] Au sens de l’article 2, I de la loi du 13 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, constitue un conflit d’intérêts « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
[12] Article 433-1 du code pénal
[13] Obligation de transmission d'une déclaration d'intérêts prévue à l'article 25ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Lois relatives à la transparence financière du 11 mars 1988, lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et son décret d’application 2016-1967 du 28 décembre 2016. Article 20 de la loi organique n° 2017-1338 du 15 septembre 2017.
[14] Le « pantouflage » est la mobilité professionnelle des agents publics, vers le secteur privé et le secteur public concurrentiel.
[15] RICOEUR, Paul, Le Juste, éditions Esprit 2001 p. 217 et s.
[16] 3ème étude annuelle sur le risque de fraude en France. Étude conjointe de la société d’assurance Euler Hermes, et de la DFCG, l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion, auprès de deux cent directions financières.
[17] Code de déontologie des professionnels comptables de l’IFAC (International Federation of Accoutants) – décembre 2017
Guide de déontologie des agents de la direction générale des finances publiques (mai 2012)
Charte de déontologie des juridictions financières et normes professionnelles prévues à l’article L120-4 du code des juridictions financières
Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes (décret n°2007-431 du 25 mars 2007)
Code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable (décret 27 mars 2007 modifié par le décret 2012-342 du 30 mars 2012)
[18] EC (Experts-comptables), CAC (commissaires aux comptes), CP (comptables publics) et JF (juridictions financières).
[19] OCDE, Bribery in Public procurement (2007)
[20] Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics transposée en France par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics
[21] 1/ Office européen de la lutte anti-fraude, (2013). Identifier les conflits d’intérêts dans les procédures de passation de marchés publics concernant des actions structurelles - Guide pratique à l’intention des gestionnaires.
2/ Milieu Ltd pour la Commission européenne, 2017. Évaluer les avantages économiques de la protection des lanceurs d’alerte dans le cadre des marchés publics.
[22] Décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008 – article 15.
[23] Le lanceur d’alerte se définit comme « toute personne qui a connaissance de manquements graves à la loi ou au règlement, ou de faits porteurs de risques graves ». Il a « le droit de communiquer, dans l’intérêt général, les renseignements qui y sont relatifs », ajoute le texte, qui précise que « ce lanceur d’alerte agit de bonne foi, sans espoir d’avantage propre ni volonté de nuire à autrui ».
L’alerte pourra être donnée au sein de l’entreprise ou de l’administration concernée, ou auprès d’interlocuteurs externes (Justice, Défenseur des droits, ordres professionnels, associations…), voire être rendue publique en l’absence de réaction ou en cas d’urgence.
La responsabilité pénale du lanceur d’alerte de bonne foi ne pourra être engagée s’il divulgue des informations couvertes par le secret — hors secret de la défense nationale, secret médical ou secret entre l’avocat et son client.

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