Article publié en décembre 2013 dans la revue française de comptabilité (n°471)
Le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2013 : l’évolution des finances locales vers une comptabilité en droits constatés certifiée ?
L’analyse détaillée que la Cour des comptes vient de publier sur la situation des comptes locaux et sur les enjeux majeurs auxquels les collectivités territoriales sont confrontées est le premier rapport qu’elle consacre à cette question.
S’appuyant sur les 450 rapports réalisés chaque année par les chambres régionales des comptes, ce rapport sur les finances publiques locales pourrait à l’avenir être publié annuellement comme l’envisage le projet de loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale adopté en conseil des ministres le 10 avril 2013 et qui sera examiné en première lecture au Sénat en 2014. Avec le rapport annuel sur les dépenses de l’Etat et le rapport annuel sur le financement de la sécurité sociale, la France disposerait alors d’un rapport annuel de la Cour sur chacun des trois grands piliers de la dépense publique.
Les messages de bonne gestion de la Cour des comptes
Dans son rapport d’octobre 2013, la Cour développe plusieurs messages à destination des décideurs publics de l’Etat et des collectivités locales.
La Cour s’inquiète en premier lieu du dynamisme des dépenses. Contrairement à ce qui s’est produit pour l’État ou pour l’assurance maladie, la dégradation du solde des administrations publiques locales est imputable à un accroissement des dépenses à un rythme plus élevé que celui des recettes et même plus élevé que ne le commandaient les transferts de missions ordonnés par l’Etat. La Cour considère que, pour un moindre coût, la gestion territoriale pourrait délivrer un service public d’une qualité au moins équivalente.
La Cour rappelle, en deuxième lieu, que les collectivités territoriales doivent, comme les autres APUL[1], apporter leur contribution au redressement des comptes publics auquel la France s’est engagée. L’appréciation des finances des administrations publiques locales participe au diagnostic global des finances publiques françaises. Collectivités locales, État et Sécurité sociale forment un ensemble interdépendant. Dans le cadre de ses engagements européens, la France doit intégrer les dépenses des collectivités locales dans ses objectifs de réduction des déficits publics (3 % du déficit public total est imputable aux collectivités locales, soit 3,1 Md€ en 2012) repris dans son programme de stabilité présenté en avril 2013 aux autorités de l’Union européenne. Le montant de la dette locale est par ailleurs pris en compte dans l’endettement public de la France (174 Md€ en 2012, soit 9,5 % seulement de l’endettement public, soit 4 années et demi d’autofinancement des collectivités locales soit 8,5 points de PIB contre 71 points de PIB pour l’État et 10,3 points de PIB pour la sécurité sociale).
C’est pourquoi, dans le programme de stabilité, le gouvernement a fixé un objectif de croissance des dépenses locales en volume de 0,5 % sur la période 2015-2017 la, ce qui correspond à un freinage sans précédent, les dépenses ayant augmenté de 1,1 % en 2012 et la tendance moyenne des vingt dernières années étant de 3,1 %.
Les entités territoriales doivent réaliser cette forte réduction dans un contexte de raréfaction de leurs recettes. L’Etat entend continuer à geler les concours qu’il verse aux collectivités (36 % de leurs ressources, soit 75 Md€) et les marges d’augmentation de la fiscalité sont réduites par la priorité qui devra être donnée à la Sécurité sociale pour les futures augmentations de fiscalité.
La Cour appelle de ses vœux, en troisième lieu, la construction d’un dispositif de gouvernance permettant d’associer les collectivités au pilotage et à la maîtrise de l’ensemble des finances publiques.
La Cour recommande de mettre en place rapidement une réelle gouvernance des finances locales. Une instance nationale, telle que le Haut Conseil des territoires, prévu par le projet de loi de décentralisation pourrait associer les collectivités locales à la maîtrise d'ensemble des finances publiques et notamment à la programmation des évolutions de recettes et de dépenses.
Le quatrième message de la Cour est qu’une meilleure maîtrise des dépenses de fonctionnement (54,8 Md€ avec une évolution de + 3,1 % en plus de l’inflation chaque année en moyenne depuis 1983) serait possible si une mutualisation des moyens intervenait entre collectivités, et particulièrement entre communes et intercommunalités, si les achats courants se professionnalisait, si le patrimoine immobilier était rationnalisé et si des dépenses tels que la publicité et les relations publiques étaient réduites. La Cour a spécifiquement étudié le tiers des dépenses de fonctionnement consacré au personnel (50% pour les communes), qui pourrait être mieux maîtrisé notamment en respectant le temps de travail annuel (contrôle des congés supplémentaires et des autorisations d’absence pour raison de santé).
L’évolution des dépenses d’intervention des collectivités territoriales dépend principalement de celles des départements dont la hausse représente 72 % de l’augmentation totale observée en 2012 due principalement au dynamisme de la dépense pour le revenu de solidarité active (RSA) et la prestation de compensation du handicap (PCH).
La maîtrise des dépenses est la seule solution, car ni les recettes, ni l’endettement ne pourraient continuellement augmenter pour s’ajuster.
Un autre facteur de préoccupation de la Cour est l’hétérogénéité croissante des situations des différentes collectivités. Les situations financières apparaissent de plus en plus divergentes, selon les catégories de collectivités et selon les territoires concernés. Directement indexée sur l’attractivité économique du territoire, la fiscalité locale conforte cette hétérogénéité entre collectivités, surtout depuis la disparation de la taxe professionnelle.
Pour maintenir l’égalité des citoyens devant les services publics et assurer l’équité des prochaines augmentations de fiscalité locale, la Cour recommande un renforcement de la redistribution de recettes entre collectivités pour en équilibrer la répartition et un transfert de fiscalité des communes et intercommunalités (ex : taxe sur le foncier bâti des communes) vers les départements.
La qualité comptable : les pistes de progrès pour les finances locales
Aux termes de la Constitution «les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ». La fiabilité et l’auditabilité des comptes publics est également une obligation découlant d’une directive du Conseil de l’Union européenne du 8 novembre 2011.
C’est pourquoi, à la suite d’autres pays, la France introduit progressivement la comptabilité générale en droits constatés dans les finances publiques. Cette évolution a été permise par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 qui souhaitait mieux identifier les politiques publiques mais aussi rendre plus visible les moyens affectés. Une comptabilité patrimoniale établie et contrôlée selon des normes comptables applicables aux entreprises, sous réserve des spécificités liées à l’action publique, se met en place. Elle permet une transparence financière indispensable aux choix politique de gestion. Elle contribue également à la mise en œuvre des lois de programmation des finances publiques. Elle constitue enfin un préalable indispensable à une identification précise, via la comptabilité analytique, des coûts de chaque action publique et donc au repérage des actions publiques peu performantes.
Depuis 2006, la Cour des comptes est chargée de déterminer si les états financiers donnent une image fidèle et sincère de la situation financière pour les comptes de l’État et ceux des organismes du régime général de la Sécurité sociale. L’article L. 111-3-1-A, introduit dans le code des juridictions financières par la loi du 29 juillet 2011, précise à ce titre : « La Cour des comptes s’assure que les comptes des administrations publiques sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière, soit en certifiant elle-même les comptes, soit en rendant compte au Parlement de la qualité des comptes des administrations publiques, dont elle n’assure pas la certification ».
La comptabilité patrimoniale publique certifiée s’étend avec les principaux établissements publics de santé, depuis 2009. Le projet de loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale propose que l’extension se poursuive en direction des finances locales.
L'article 19 crée un nouvel article dans le code des juridictions financières, qui prévoit le principe d'un rapport de la Cour des comptes au Parlement sur la situation financière des collectivités territoriales et sa présentation par le premier président de la Cour des comptes, devant le Haut conseil des territoires, après sa transmission au Parlement. En outre, il est proposé que le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques prévu au 3° de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances soit présenté par le premier président de la Cour des comptes devant le Haut conseil des territoires. Le cas échéant, ces rapports peuvent être présentés devant le Comité des finances locales (CFL), formation spécialisée du haut conseil, dont la loi de programmation des finances publiques prévoit d'ores et déjà que le Gouvernement lui présente son rapport au Parlement préalable au débat d'orientation des finances publiques, l'avis du CFL étant joint à la transmission au Parlement.
L'article 20 prévoit que la Cour des comptes coordonne, conformément à l'article 37-1 de la Constitution et pour une durée de cinq ans, une expérimentation de dispositifs destinés à assurer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes des collectivités locales sur la base du volontariat. Elle concerne les collectivités dont les produits de fonctionnement excèdent le seuil de 200 millions d'euros.
Compte tenu de l’expérience acquise pour les autres entités publiques ayant basculé en comptabilité patrimoniale et de la connaissance de la fiabilité préalable des comptes locaux (certificabilité ou « auditabilité »), le projet de loi prévoit un commencement de mise en œuvre différé de trois ans. Les domaines de progression sont connus et rappelés par le rapport de la Cour.
Les domaines de progression des états financiers locaux:
- la séparation des exercices
- la constitution des amortissements et provisions ;
- les dotations aux amortissements des immobilisations ;
- les opérations de bilan ;
- la connaissance par les collectivités de leur patrimoine (immobilier et créances) ;
- le recensement des engagements hors bilan ;
- l’information délivrée dans les annexes budgétaires présentée de façon complexe et non exhaustive (impossibilité d’effectuer une centralisation informatique au niveau national) ;
- l’absence de fiabilité des écritures rendant compte des différents transferts intervenant soit entre le budget principal de la collectivité et les budgets annexes des établissements publics locaux, soit entre des communes et leur groupement (incertitude sur la répartition des charges de personnel au sein du bloc communal).
- la forme des comptes et des procédures comptables.
La Cour rappelle néanmoins dans son rapport que des démarches de progrès sont déjà engagées par les collectivités locales pour fiabiliser leur comptabilité et sont suivies par la direction générale des finances publiques via un outil de mesure de la qualité comptable. Ces démarches concernent principalement le renforcement du contrôle interne et la mise en œuvre du nouveau cadre normatif de la comptabilité publique locale qui a connu, dans les deux dernières décennies, des évolutions importantes.
Dans son rapport, la Cour propose d’autres recommandations pour améliorer la qualité de l’information financière locale qui s’ajoutent et confortent les dispositions du projet de loi dans quatre domaines : le réexamen de l’articulation budgétaro-comptable des finances locales, la présentation unifiée des états financiers, la certification des comptes des grandes collectivités et des établissements publics de coopération intercommunale les plus importants et la centralisation nationale des budgets, des comptes administratifs et des comptes de gestion des collectivités territoriales.
La Cour recommande en premier lieu d’ouvrir un débat sur la question de l’extension au secteur public local de la distinction entre comptabilité budgétaire et comptabilité générale sur le modèle de l’État. Ce débat devrait permettre de mieux cerner les avantages et les inconvénients d’une telle option au regard de ceux du système actuel.
La Cour recommande par ailleurs la production d’un compte financier unique qui présenterait plus clairement les informations financières.
Le système comptable des finances locales repose actuellement sur une multiplicité de comptabilités intégrant les besoins budgétaires et comptables. Cette conciliation entraîne une multiplication d’écritures d’ordre qui affectent la lisibilité des comptabilités.
En outre, elle ne se traduit pas par la production d’un compte unique : des états financiers distincts sont établis par l’ordonnateur (le président de l’assemblée délibérante) et par le comptable public. Ni l’un, ni l’autre de ces documents n’offre à lui seul une information complète sur la situation d’un organisme. Le suivi de l’exécution budgétaire et l’enregistrement des opérations doivent permettre de rendre des comptes réguliers et sincères et de disposer d’une connaissance précise du patrimoine comme des engagements de chaque collectivité. Par ailleurs, il conviendrait d’envisager la conception d’un jeu unique d’états financiers, à partir de l’information détenue par l’ordonnateur et de la reddition des comptes par le comptable public.
La Cour recommande en outre de lancer l’expérimentation d’une certification des plus grandes collectivités locales c’est-à-dire celles dont le budget se chiffre par milliards ou centaines de millions d’euros : régions, départements, métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et grandes villes (plus de 50 000 habitants). Au Royaume-Uni, la direction du Trésor effectue une consolidation des comptes préalablement certifiés d’environ 1500 entités considérées comme publiques dont de très nombreuses collectivités territoriales. En précisant le champ des collectivités certifiables, la recommandation de la Cour, précise la démarche expérimentale sur la base du volontariat envisagée par le projet de loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale.
La Cour recommande enfin la centralisation nationale des budgets et des comptes administratifs des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics. L’objectif est de disposer une information agrégée de nature à permettre de porter un diagnostic complet sur ce secteur des finances publiques, pris en lui-même et dans une optique comparative avec les autres secteurs des finances publiques.
Cette agrégation nationale des données financières locales nécessitera un travail complexe à partir des centralisations partielles actuellement réalisée par les services préfectoraux et par la direction générale des finances publiques. Portant sur des données insuffisamment homogènes et fiables, cette agrégation aboutit à des restitutions utiles mais qui ne peuvent, en l’état, permettre d’accéder à une vision exhaustive et fidèle de la situation financière du secteur public local. Seule une transmission numérique de ces informations, en cours de développement, facilitera leur remontée et leur exploitation au niveau national.
En outre, une amélioration de l’information financière nationale serait souhaitable en prenant en compte les éléments d’actif et de passif ainsi que les engagements hors bilan du secteur public local et en améliorant le suivi infra-annuel des recettes et des dépenses budgétaires.
Les recommandations de la Cour en matière de qualité comptable
des collectivités locales
« 1/ Pour l’État et les grandes collectivités territoriales ou établissements publics de coopération intercommunale : ouvrir un débat sur le choix entre le maintien du système budgétaro-comptable actuel et l’évolution vers un système qui, comme pour l’État, distinguerait comptabilité générale et comptabilité budgétaire ; mettre en place, dans un cadre défini par la loi, une expérimentation, sur la base du volontariat, de dispositifs visant à s’assurer de la régularité, de la sincérité et de l’image fidèle des comptes des collectivités et établissements publics de coopération intercommunale les plus importants, coordonnés par la Cour des comptes.
2/ Pour l’État en association avec les élus locaux, définir une trajectoire de progrès ainsi qu’il suit :
- améliorer la lisibilité et l’intelligibilité des états financiers des collectivités et établissements publics locaux en éliminant les informations inutiles ou redondantes, en simplifiant et modernisant leur présentation et en les complétant dans les domaines où ils sont insuffisants ;
- renforcer la fiabilité de l’information financière des collectivités et établissements publics locaux, notamment en ce qui concerne les obligations de recensement exhaustif de leurs actifs et de leurs passifs et de production d’informations détaillées sur leurs engagements pluriannuels ;
- ouvrir le chantier de construction d’un compte financier unique, sous l’égide du comité relatif à la fiabilité des comptes locaux, et en s’appuyant sur les possibilités offertes par la numérisation et la dématérialisation des comptabilités.
Pour les grandes collectivités et établissements publics de coopération intercommunale :
- mettre en place les moyens et les procédures d’un contrôle interne comptable et financier approprié, en s’inspirant des meilleures pratiques des collectivités les plus avancées en ce domaine. »
Les recommandations de la Cour dans son rapport sur les finances locales seront débattues l’année prochaine par le législateur dans le cadre du projet de loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale.
Quelles que soient les dispositions qui seront adoptées, le long chantier de fiabilisation de la comptabilité des collectivités locales se poursuivra et impliquera l’accompagnement de l’ensemble des professions du chiffre du secteur privé comme du secteur public (juridictions financières, comptables publics de la direction générale des finances publiques, experts-comptables et commissaires aux comptes).
Beaucoup reste en effet à inventer pour mettre en place des comptes locaux certifiables. Les collectivités territoriales devront être accompagnées pour lever les faiblesses rappelées ci-dessus dans leurs états financiers. Le cahier des charges de la certification devra être définie (existence d’une revue limitée, périmètre de certification, différenciation possible de la forme de la certification selon les risques et donc sans doute de la taille de la collectivité en cause, possibilités de regroupements ou de mutualisation, question de la consolidation, normes applicables spécifiques).
Ce vaste chantier nécessitera la mise en synergie des compétences des membres de l’Ordre, de la Compagnie et des experts du secteur public.
[1] La catégorie des administrations publiques locales (APUL) au sens du règlement (CE) n° 2223/96 du Conseil du 25 juin 1996 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux de la communauté inclue l’Etat, la Sécurité Sociale et les finances des collectivités locales. Le respect des engagements européens de la France les concerne tous également car ils contribuent ensemble à l’équilibre global défini par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.
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